26 Janvier 2020 : Discours de Julien Bayou au Conseil fédéral des 25 et 26 janvier
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Chers amis, chères amies,
Merci d’avoir rendu ce bel hommage à Jean-Michel Braud. Nous étions quelques-uns de sa famille écologiste, si j’ose dire, présents autour de sa famille. Je retiens les mots d’Alexis et d’Aurélien Braud, bien sûr, mais également ceux de Julien Durand, pilier de l’ACIPA, qui a mené la bataille de Notre-Dame-des-Landes pendant de si longues années avant de voir la victoire.
C’était un pilier qui rendait hommage à un autre pilier. Un héros ordinaire qui rendait hommage à un autre héros ordinaire. Nous en comptons beaucoup dans nos rangs, de ces militant-es infatigables. Celles et ceux qui se battent sans espoir de succès, mais qui se battent quand même, qui défrichent des alternatives ou cherchent à les généraliser, qui labourent les chemins de l’écologie sous les moqueries ou dans l’indifférence. En tous cas jusqu’à récemment.
C’était peut-être sans espoir, et certainement sans gloire, à Strasbourg et alentours, une cantonale, une municipale, c’était l’assurance de faire 2, 3%… 5% ou 10%, c’était l’exploit ! (C’est encore le cas dans de nombreux endroits. Salut, les Picards !)
Si eux, si nous, si nous ne l’avions pas fait, porter l’écologie, qui l’aurait fait ?
Je crois que c’est pour ça qu’on se dit qu’il faut tenir. Nous tenions parce que c’était juste.

On ne m’a jamais trop expliqué pourquoi notre emblème, c’était un tournesol. Peut-être parce que la fleur, comme Galilée affirmait l’héliocentrisme, est héliotropique et suit plutôt la science que les croyances, à l’inverse des climatosceptiques. Entre Pascal Praud ou Trump, qui confondent volontairement météo et climat, etle GIEC, nous choisissons le GIEC.
Et, également, cette plante suit le soleil et, plutôt que de se soumettre aux gesticulations des activités humaines, nous suivons le soleil et nous savons que nous dépendons de la nature, plutôt que de vouloir nous en rendre les maîtres.
Eh bien, quand on suit le soleil, des fois, il fait nuit, souvent même. C’est la nuit qu’il est beau de croire au soleil, à la lumière. Voilà la beauté de ces héros ordinaires. Merci Jean-Michel et tous les autres.
Alors, aujourd’hui, il fait soleil pour l’écologie. Mais la période appelle à la plus grande des vigilances et à ne pas relâcher notre détermination. Rien ne doit nous détourner de notre tâche.
Le pessimisme et l’optimisme sont deux frères ennemis dont nous devons pareillement nous défier. Je vous invite à ne céder ni à l’un ni à l’autre et à cheminer sous la bannière de la lucidité. Les sondages nous portent. Je m’en réjouis. Les éditos nous désignent. Il y en a même qui nous qualifient de responsables et courageux. Je m’en félicite.
Mais je veux, plus que jamais, vous appeler à garder la tête froide.
La fierté d’être enfin reconnus pour ce que nous sommes ne doit pas nous rendre immodestes. Soudain, parce que le vent électoral nous semble favorable, les mouches changent d’âne.
On nous complimente. On nous courtise. On nous imite sans vergogne, après nous avoir raillés sans relâche. Pourtant, nos idées n’ont pas varié. Nos convictions restent inchangées. Nos engagements demeurent identiques.
Nous avons vécu sous une pluie de quolibets, ne nous laissons pas ensevelir aujourd’hui sous un océan de flatteries.
Si nous sommes enfin entendu-es c’est parce que la crise environnementale se fait plus aigüe encore. Nos idées gagnent en audience parce que nous avions malheureusement annoncé ce qu’il se passe. Les « méga feux » qui détruisent les forêts du monde accélèrent la prise de conscience d’une partie grandissante de la population. Le refus de la catastrophe ouvre les yeux de nombreux incrédules d’hier sur la nécessité de changer de modèle.
Pour autant, les résistances sont grandes. Et le sort du monde semble en bascule.
À Davos, Donald Trump a pris une nouvelle fois le contre-pied de Greta Thunberg. Trump et Greta. Peut-on trouver deux figures plus opposées pour signifier le chaos hésitant de la planète ? La violence éructante de l’ordre dominant fait face à la puissance juvénile qui désire le changement. Le premier a sa richesse, son rang, son titre et la haine qu’il porte en bandoulière. La seconde a pour elle l’audace, l’audace et encore l’audace de dire la vérité du futur qui vient, quand beaucoup restent, en silence, attaché-es au piquet de l’instant.
Leur affrontement symbolique dit la dureté de notre mission. Il dit que l’écologie n’est pas un dîner de gala et qu’il ne suffit pas d’être à la mode pour triompher des forces qui cadenassent le monde autant qu’elles le détruisent.

Nous n’y parviendrons pas sans construire un mouvement politique capable de rassembler très largement des femmes et des hommes originaires d’horizons multiples. Sans ostracisme mais sans confusion nous devons bâtir le grand mouvement dont l’écologie politique a besoin.
Il ne s’agit pas seulement d’être dans une logique d’ouverture ou d’autres nous rejoignent, il s’agit de bâtir, avec d’autres, une force nouvelle qui viendra bousculer les schémas établis pour parvenir à reprendre en main les clés de notre destinée, quand d’autres les abandonnent à la loi du profit.
David Cormand, que je salue et remercie encore pour le travail accompli, avait peur d’être notre ultime Secrétaire national. Eh bien, pardonnez-moi, mais je veux, pour ma part, être le dernier Secrétaire national d’Europe Écologie Les Verts. Disons les choses clairement : EELV a vocation à disparaitre sous sa forme actuelle. Non pas disparaitre en s’autosabordant, mais avec détermination et sincérité : laisser de côté notre patriotisme de parti pour mettre notre structure au service de celles et ceux qui, hier, doutaient de nous et veulent, désormais, devenir écologistes.

Si nous n’arrivons pas à nous réformer, si nous n’arrivons pas à attirer largement de nouveaux profils de militantes et de militants, si nous n’arrivons pas à être le point d’appui naturel de la génération climat, si celles et ceux qui inventent l’avenir en vert ne font pas route avec nous, alors nous aurons échoué et nous tomberons, frappés d’obsolescence.
La direction du mouvement aura à conduire ce que nous pouvons appeler « le chantier du dépassement ».
Et ce sont bien les adhérentes et les adhérentes, dans leur ensemble, qui auront à se prononcer sur notre transformation.
La motion commune adoptée au congrès fixe un cap et définit un cadre pour cette transformation.
Cette motion nous engage. Je regrette, pour ma part, qu’elle ne soit pas encore plus explicite. Mais nul ne peut prétendre que l’impératif de transformation que nous prônons pour la société ne doit pas s’appliquer d’abord à nous-mêmes.
Ce parti va changer et devenir le berceau de l’espérance.
Je veux dire ici, devant vous, réuni-es au Conseil fédéral, que, pour réussir, nous aurons besoin de toutes et de tous. Le temps du Congrès est achevé. Chacune et chacun ne doit avoir qu’une chose en tête : tenir son poste afin que l’écologie tienne son rang.
Nous avons besoin de toi Alain, de toi Éva, et de toi, Philippe. Nous avons besoin de tout le monde. Il y a trop de travail à accomplir pour nous perdre en querelles.
Nous devons avancer ensemble, unis et solidaires.
Le temps ou les écologistes s’entre déchiraient à belles dents est révolu. Quiconque veut revenir aux temps anciens de l’individualisme trouvera désormais sur sa route un collectif rassemblé et un Secrétaire national sourcilleux.

Voilà ce qui explique la lourde décision que nous avons dû prendre au sujet de la ville de Montpellier. On m’interroge sur la décision prise. Je réponds ceci : « J’aurais préféré aboutir à un autre scénario. Les membres de notre direction qui ont conduit une mission de conciliation avaient en tête de parvenir à créer les conditions pour que la campagne se poursuive sans heurts. Mais perdre son âme pour gagner une élection n’est pas une possibilité à nos yeux. »
En mettant de côté des points essentiels de notre programme et en éliminant ses colistiers écologistes, Mme Ollier a franchi les limites acceptables. Pour celles et ceux qui en doutaient, nulle ne peut s’affranchir de nos fondamentaux. Personne n’a le droit de mettre l’écologie en berne.
Notre cap, ce n’est pas de reproduire les divisions habituelles ou les combinaisons du passé et de nous perdre dans les méandres de la politique politicienne. Nous sommes les écologistes et nous devons porter haut nos couleurs. Nous ne portons pas une simple alternance, mais une véritable alternative.
Et, je le dis tranquillement, l’écume de la situation à Montpellier n’empêchera pas la vague verte. À Rouen, Strasbourg, Besançon, Bordeaux, Lyon, Poitiers, Toulouse, Perpignan et même Thionville, en Lorraine, où j’étais avant hier, nous avons d’excellentes têtes de liste. Des femmes et des hommes de convictions, qui savent que nous ne sommes pas propriétaires des suffrages que nous prédisent les sondages, mais que nous sommes celles et ceux qui ont reçu en héritage la lourde responsabilité de mener la transition écologique de nos villes d’abord, de nos régions ensuite et, à terme, du pays dans son ensemble.
Nos têtes de listes savent que leur combat dépasse leur personne. Nous ne nous battons pas seulement pour exercer un mandat, mais pour créer une alternative. Nous autres, les écologistes, avons une lourde responsabilité historique : celle de conduire le changement dont la planète a besoin.
Notre projet politique est novateur et vient troubler le jeu des forces politiques productivistes installées par la révolution industrielle.
Il demande à remettre en cause, à la fois, la notion de progrès pour la redéfinir et la notion de croissance pour s’en affranchir.
Il se base sur le refus catégorique de l’exploitation sans limite de la nature.

L’écologie dont nous sommes les garantes et les garants est éco-féministe et refuse donc, d’un même tenant, la destruction du vivant et la domination patriarcale.

L’écologie que nous défendons est décoloniale et vise à sortir des modèles écocidaires et racistes, dont le scandale du chlordécone qui empoisonne les sols, les eaux et les populations des Antilles est une triste illustration.

L’écologie que nous avons au cœur est républicaine : elle refonde la promesse universaliste en la ressourçant dans l’idée d’une république des communs qui donne une place à chacune et chacun sans écraser quiconque et protège les droits de la nature pour elle-même, mais aussi dans le projet le plus cosmopolitique qui soit, celui de la survie de l’espèce humaine.

Notre écologie, enfin, est populaire. Elle ne laisse personne de côté et sait que justice sociale et environnementale sont indissolublement liées et qu’on ne peut blesser l’une sans flétrir l’autre. Elle tire les leçons du mouvement des gilets jaunes et de la convention citoyenne pour proposer un pacte de transition écologique qui s’accompagne d’un vrai green new deal.

Un vrai green new deal, ce n’est pas la copie vert très pâle, trop pâle, de la Commission européenne. C’est le projet révolutionnaire de réorienter l’économie dans une vision qui conjugue transition écologique et garantie de l’emploi. Je fais confiance à nos eurodéputé-es pour se battre, pied à pied, pour verdir la copie de la Commission et pour, plus globalement, se battre pour réorienter l’Europe.
Nous l’avons dit pendant toute la campagne, et Yannick Jadot a su l’incarner, pour sauver le climat, il faut sauver l’Europe. Le débat sur le futur de l’Europe est engagé. À l’heure où les forces antieuropéennes foisonnent, à l’heure ou le national populisme prospère, l’écologie politique est, plus que jamais, la force qui se dresse contre la barbarie qui laisse mourir les personnes migrantes, organise la casse sociale et saccage nos ressources naturelles.
Nous devons proposer un autre système. Affirmer qu’une autre vie est possible. Et construire, à terme, la coalition sociale et politique qui rendra possible l’avènement d’une majorité capable d’appliquer la politique qui, seule, peut sauver l’essentiel.

Je finis d’une phrase. Le mouvement pour les retraites qui anime le pays est une bonne nouvelle. Nous devons l’aider à tenir bon. Ce mouvement dit que le pays veut autre chose que la brutalité comme méthode, l’arrogance comme dialogue et l’oubli de notre pacte social comme constante. Le Conseil d’État a mis en garde le gouvernement : la copie est brouillonne, les études d’impact et financières lacunaires et, potentiellement, inconstitutionnelle et non conforme aux traités. J’appelle le gouvernement à entendre ce cri, cette alerte, qui monte des cheminots aux avocats, des écologistes aux Conseillers d’État.
Notre pays est sorti de l’hypnose macroniste. Deux tiers l’ont élu en 2017, deux tiers, aujourd’hui, pensent que le président de la République ne sera pas réélu. Le rejet est profond. Mais un front du refus hétéroclite ne fonde pas une alternative. Nous devons prendre notre part du travail programmatique à accomplir. Renouer avec les intellectuel-les, femmes et hommes, avec les forces sociales, syndicales et associatives est une des priorités de mon mandat.
J’irai, d’ailleurs, mercredi à Rouen avec Philippe Martinez soutenir les salarié-es de l’usine de papier recyclé Chapelle d’Arbaly pour travailler sur un projet d’acheminement du papier par la Seine plutôt que par camion.

Je viens de la société mobilisée. Je compte bien continuer à y tenir toute ma place. Il n’est écrit nulle part que le destin d’un leader de parti soit de se couper des luttes, de ce qui vit, de ce qui résiste. Ma responsabilité est aussi de faire en sorte que nous demeurions au contact de la société qui construit le changement que nous voulons voir advenir.

Je m’y engage.

Moins de soixante jours nous séparent des élections municipales. Tout doit être fait pour que ces élections constituent un tremplin pour l’écologie. Le vent gonfle nos voiles. Souvenons-nous de ce que disait Sénèque : « Il n’est point de vent favorable à celui qui ne sait où il veut aller. » Nous savons d’où nous venons et, par égard pour ces héros ordinaires dont je parlais, nous devons tenir le cap. Modestie, cohérence, loyauté, rassemblement des écologistes, construction d’un nouveau mouvement, constitution d’une majorité alternative, voilà notre feuille de route.
Ensemble, tenons le cap.

Julien Bayou, secrétaire national