Projet de loi de relance du nucléaire : retour sur l’histoire du nucléaire en France
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Article de Mediapart

Campagne contre les éoliennes, bataille sur les besoins en électricité… : impopulaire après l’accident de Fukushima et mise à mal par l’échec de l’EPR, l’industrie de l’atome a réussi à se replacer au centre de la politique du gouvernement. À partir de lundi, les députés examinent le projet de loi de relance du nucléaire.

Début avril 2020. La France entame sa troisième semaine de confinement. La société est sous le choc et les activités économiques à l’arrêt. Le comité stratégique de la filière nucléaire, qui réunit EDF, Orano, le CEA, fournisseurs et sous-traitants, rédige une note. Elle est destinée au gouvernement ainsi qu’aux délégués permanents des filières stratégiques du Conseil national de l’industrie (CNI), une instance de discussion entre puissance publique et acteurs privés.

Cette dernière est présidée par le premier ministre, Édouard Philippe, ancien directeur des affaires publiques d’Areva, le groupe qui a conçu l’EPR. À son côté, Philippe Varin, président alors en exercice du conseil d’administration d’Orano, nouveau nom d’Areva. Matignon, Bercy et Jean Castex, alors coordinateur national à la stratégie du déconfinement, préparent le redémarrage de l’économie.

Que dit ce document ? Il faut « engager dès que possible le programme de trois paires de réacteurs EPR2 » afin « de mobiliser la filière autour d’objectifs communs ». C’est concret et très précis : il est demandé de lancer « dès à présent les activités correspondant au planning opérationnel » et de financer « chez les industriels les activités de préparation incluant des pré-fabrication ». Cette fiche est la réponse officielle du lobby du nucléaire à la demande du gouvernement formulée, six mois plus tôt, à l’adresse d’EDF sur sa capacité de sortir de nouvelles tranches nucléaires, qu’avait révélée Le Monde.

« C’est la note qui a lancé l’histoire des six EPR », selon un participant joint par Mediapart. Alors qu’elle reste confidentielle, Mediapart a retrouvé cette note historique (consultable dans les Annexes de cet article). Aucune mention ni de réacteurs EPR2, ni même de nucléaire dans les communiqués du CNI à cette époque.

Au public extérieur, on promet « décarbonation de la production » et « verdissement de l’économie ». Mais dans le secret des réunions ministérielles, qui se tiennent en visio et « conf call » dans un pays encore confiné, la famille du nucléaire vient de remettre ses activités sur les rails.

Quelques mois plus tard, en décembre 2020, Emmanuel Macron déclare au Creusot (Saône-et-Loire) que « notre avenir économique et industriel passe par le nucléaire ». Et en février 2022, en pleine campagne présidentielle, il annonce « la renaissance du nucléaire français » : prolongement des réacteurs existants, lancement de la construction de six EPR2 et étude sur la fabrication de huit autres.

Que s’est-il passé depuis l’accident de Fukushima, au Japon, en 2011, pour que l’éclipse du nucléaire prenne fin ? Du temps bien sûr. Mais pas seulement. Certains avaient vu dans l’accord politique entre les socialistes et les écologistes autour de la campagne de François Hollande, en 2012, un coup d’arrêt : fermeture de la centrale de Fessenheim et objectif de réduire, d’ici 2025, à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité – contre 75 % à l’époque. En réalité, ce consensus ménageait toutes les options. C’est ainsi qu’il s’est transformé en rampe de relance.

En 2012, quand François Hollande arrive à l’Élysée, des écologistes ont le sentiment de vivre « un tournant » : un an après l’accident de Fukushima, « le nucléaire avait été un sujet important de la primaire du PS, se souvient Yves Marignac, consultant sur le nucléaire et porte-parole de l’association négaWatt, spécialisée en économie d’énergie. « Ce qui s’était passé à Fukushima ne donnait pas envie de faire du nucléaire les yeux fermés », se rappelle de son côté un ancien conseiller de Matignon.
Face à Nicolas Sarkozy, le candidat socialiste avait appelé à sortir de « la double dépendance » à l’égard du pétrole et du nucléaire. « Il fallait éviter que tout repose sur les mêmes réacteurs sortis des mêmes forges, c’était un enjeu de sécurité », poursuit-il. « C’était une orientation nouvelle car jusque-là le nucléaire était toujours présenté comme un facteur d’indépendance », remarque Yves Marignac.

Une fois la gauche et les écologistes au pouvoir, un débat national sur la transition énergétique est lancé, axé sur la maîtrise de la demande et le développement des énergies renouvelables. « Chez les pro-nucléaire, tout le monde n’était pas opposé aux 50 % de nucléaire en 2025, et pour de bonnes raisons : la relève par de nouveaux EPR prendrait du temps (le chantier de Flamanville était déjà en retard), l’allongement de la durée d’exploitation des réacteurs existants n’était pas acquis sur l’ensemble du parc pour des raisons de sûreté et, de leur point de vue, la demande d’électricité ne pouvait qu’augmenter fortement, analyse Michel Colombier, chercheur à l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). On était de facto déjà sur une trajectoire de baisse de la part de l’atome dans la production d’électricité. C’était une dynamique industrielle et pas la conséquence d’un arbitrage politique. »

Une loi climat est votée en 2015, puis la France accueille la COP21, où se signe un accord historique pour la réduction des gaz à effet de serre. Pour remplacer le charbon, le pétrole et le gaz, les sources d’énergie qui émettent le plus de CO2, il faut de l’électricité bas carbone. « Mais le gouvernement ne profite pas de cette COP pour porter le nucléaire dans le débat international », décrit Yves Marignac, même si « le lobby nucléaire a toujours été présent dans les conférences de l’ONU sur le climat, il était déjà là au Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, mais ça n’intéressait pas grand monde à part la France », se souvient Hélène Gassin, aujourd’hui présidente de l’association négaWatt. À Paris, en 2015, les déclarations favorables à la 4e génération de réacteurs nucléaires de James Hansen, climatologue états-unien et l’un des premiers scientifiques à avoir alerté sur l’origine humaine du dérèglement climatique, sont peu reprises.

Mais « la fermeture de la centrale de Fessenheim est mal négociée : elle apparaît comme un cadeau sacrificiel aux écolos et [l’objectif de] 50 % en 2025 est compris comme un deal politique », analyse Michel Colombier. Les deux sujets deviennent des totems et crispent les positions. « Le nucléaire, chez EDF, c’est une religion, constate un ancien conseiller de François Hollande. Tu ne peux pas en discuter avec eux. On a déifié un objet technique. »

Conférence de presse de Nicolas Hulot annonçant le report à 2035 de l’objectif de 50 % de nucléaire, le 7 novembre 2017.

En 2017, le vent commence à tourner dans le sens du nucléaire avec la parution du rapport prévisionnel de RTE, le gestionnaire des réseaux d’électricité. Ses expert·es expliquent dans leurs conclusions que pour baisser à 50 % la part du nucléaire, il faut non seulement décaler la fermeture des centrales à charbon au-delà de 2025, mais aussi construire de nouveaux moyens thermiques – par exemple des centrales à gaz. Cela augmenterait mécaniquement les rejets de CO2, et donc les dérèglements du climat.
Face à cette démonstration, Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique, doit annoncer lui-même le report de la baisse du nucléaire à 2035, dix ans plus tard que prévu. « Cette image de Hulot flanqué du ministre de l’intérieur Christophe Castaner et de ses deux secrétaires d’État Brune Poirson et Sébastien Le Cornu, on croirait un otage lisant le message de ses geôliers », décrit Yves Marignac.

Car le diable est dans les détails. Sur les quatre scénarios étudiés par RTE, un permet de ne pas augmenter les gaz à effet de serre, l’autre d’en limiter la hausse grâce à une plus forte maîtrise de la consommation d’électricité. Or « on a expliqué à Hulot qu’il n’y avait que deux scénarios compatibles avec les objectifs climat : ceux du report à 2035 », dit à Mediapart une personne présente lors d’une réunion tardive à ce sujet au ministère, et qui a demandé à rester anonyme.

Manipulation

Autre biais : les scénarios de RTE en 2017 ne regardent que le secteur électrique, sans prendre en compte les émissions évitées dans le secteur des transports grâce au transfert entre véhicules thermiques et véhicules électriques, comme le remarque alors l’association négaWatt : « Les calculs de RTE montrent qu’il est possible de ne pas prolonger le parc nucléaire, de façon à s’approcher de l’objectif de 50 % en 2025, sans pour autant augmenter les émissions de CO2 », résument les experts de l’association écologiste.

Or ce n’est pas ce qu’en dit le gouvernement. « Il y a eu une instrumentalisation politique du rapport de RTE pour imposer l’idée qu’un report de la baisse du nucléaire à 2035 était nécessaire du point de vue du climat », selon Yves Marignac, pour qui « c’est une manipulation extrêmement grave ».

L’abandon du 2025 était une décision du président et du premier ministre, décrypte un ancien du cabinet Hulot, selon qui le ministre avait dans un premier temps réussi à maintenir l’horizon 2030. Mais la tête de l’exécutif acte finalement la date de 2035. L’absence de contreparties concrètes à ce délai de dix ans, pour soutenir les renouvelables ou financer la rénovation des bâtiments, crée colère et malaise dans les équipes du ministre – qui démissionne un an plus tard.

À partir de là, « le message poussé par le gouvernement est repris tel quel par les journalistes : on ne peut pas à la fois fermer les centrales nucléaires et celles à charbon », se souvient Alix Mazounie, chargée de campagne énergie à Greenpeace entre 2017 et 2021. Or « opposer charbon et nucléaire, c’est binaire, simpliste, mais c’est rassurant, analyse Pauline Boyer, chargée de campagne énergie à Greenpeace. La solution paraît simple alors que ce qu’il faut changer, c’est énorme : les modes de vie, la consommation, le système énergétique. »

Cinq ans plus tard, un nouveau psychodrame se joue autour de l’expertise sur les besoins énergétiques. Un rapport de l’Ademe, une agence publique d’expertise, de conseil et de financement de la transition énergétique, est opportunément retenu avant le discours d’Emmanuel Macron à Belfort pour relancer le nucléaire. Et pour cause : on peut y lire qu’il n’y a aucune nécessité de construire de nouveaux réacteurs EPR, et que l’éolien en mer flottant est « une alternative économique crédible à de nouvelles centrales nucléaires ». Mediapart avait raconté cet épisode ici. Le document sera finalement publié, mais après les annonces présidentielles.

À la même période, quand RTE publie un bilan prévisionnel à 2050, intitulé « Futurs énergétiques », Emmanuel Macron lui fait dire que le 100 % de renouvelable est impossible en 2050. Ce que les expert·es de RTE n’ont jamais écrit. De son côté, l’économiste Philippe Quirion pointe les biais du travail de RTE : le rapport aboutit à un écart de coût en faveur des scénarios comprenant la construction de nouveaux réacteurs. Mais ce faisant, il sous-estime les coûts de l’atome et surestime ceux des renouvelables.

En octobre 2018, le rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) offre aux pro-atome l’occasion d’un nouveau rebond. Les chercheuses et chercheurs y élaborent plusieurs scénarios d’émissions de gaz à effet de serre permettant de limiter la hausse des températures à 1,5 °C – une demande issue de l’accord de Paris. Dans la version résumée « pour les décideurs », ils mettent en avant quatre trajectoires, toutes avec du nucléaire. Et précisent que pour la production d’électricité, la part de l’énergie nucléaire « devrait augmenter dans la plupart des trajectoires ». Ce constat va être monté en épingle par les pro-nucléaire français.
Pourtant, les scientifiques, dans le même rapport, insistent surtout sur les énergies renouvelables, qui représentent, selon leurs projections, 70 à 85 % de la production d’électricité en 2050. Et remarquent que « la faisabilité politique, économique, sociale et technique » du solaire, de l’éolien et du stockage a « énormément progressé » ces dernières années, « tandis que celle de l’énergie nucléaire n’a pas connu le même sort ». Difficile d’y voir un blanc-seing pour l’atome.

On a sous-estimé la lame de fond pro-nouveau nucléaire.

Alix Mazounie, chargée de campagne à Greenpeace de 2017 à 2021 :
Mais les pro-nucléaire ne retiennent que la première information et la déforment. Cela donne, par exemple, « tous les scénarios du Giec nécessitent plus de nucléaire » sur le site d’Orano, fabricant de combustible nucléaire et concepteur de l’EPR. En réalité, le rapport contient 90 scénarios, dont la moitié voit le nucléaire baisser dans leur mix énergétique, repère l’association négaWatt.

Mais la mèche est allumée. « On a sous-estimé la lame de fond pro-nouveau nucléaire, analyse aujourd’hui Alix Mazounie. L’appel à construire de nouvelles centrales était là depuis longtemps et revenait souvent. C’était une arlésienne. Mais avec la sortie du rapport du Giec, l’empreinte carbone a été mise en avant comme l’unique prisme de la lutte contre les changements climatiques, l’occasion de souligner que le nucléaire fait partie des technologies peu émettrices et donc, pour les pro-nucléaire, des solutions. Nous avons tardé à réagir à ce nouvel argumentaire. »

Comble de malchance, une erreur se glisse dans le « Guide de l’électricité verte » de l’ONG. Dans un tableau comparant les fournisseurs d’électricité « verte », le nucléaire est présenté comme plus émetteur de CO2 que le photovoltaïque et le solaire à concentration, alors que c’est faux. L’association se fait tacler pour son « écologie dogmatique » sur les réseaux sociaux par le compte de vulgarisation scientifique Le Réveilleur. « Et là, on a perdu une grosse manche », reconnaît Alix Mazounie.

La même année, se crée l’association Voix du nucléaire, pour faire reconnaître le rôle de l’atome dans la transition énergétique. Elle est fondée par une ancienne responsable des ventes d’EPR à l’export, Myrto Tripathi, et un ancien dirigeant d’Areva, Claude Jaouen. Dans son conseil d’administration figure notamment Tristan Kamin, ingénieur chez Orano très actif sur les réseaux sociaux. Une génération d’influenceurs pro-nucléaire émerge et pratique une véritable guérilla d’opinion, usant parfois de l’intimidation et du dénigrement (voir l’article d’Arrêt sur image à ce sujet). L’association se fait désormais remarquer dans les marches climat avec ses banderoles « Du nucléaire pour le climat » ou « Sans nucléaire, ça sent le gaz ».

Orano devient sponsor d’une chaîne sur Twitch (« Le Stream »). De son côté, l’agence de gestion des déchets radioactifs, l’Andra, se rapproche de youtubeurs scientifiques et sponsorise certains contenus, comme l’a décrit Reporterre. Mais la bataille de l’opinion est difficile à gagner. En 2021, Orano commande un sondage à BVA : une toute petite majorité de personnes interrogées (53 %) considère que le nucléaire est essentiel pour l’indépendance énergétique de la France. Le chiffre est certes en hausse par rapport à 2019 (+ 7 points) mais 58 % des sondé·es pensent encore que le nucléaire contribue aux émissions de gaz à effet de serre.

L’effet Jancovici

Sous l’influence de la militante suédoise Greta Thunberg, un autre changement se produit dans la défense du climat : la science est mise au centre des récits. « Ne m’écoutez pas, écoutez la science », répète la jeune militante. Or il existe une vaste communauté scientifique autour du nucléaire en France, devenu au fil des décennies un des sujets de recherches les plus financés. Qu’ils soient chercheur·es ou expert·es, ces physicien·nes, chimistes, géologues, économistes, ingénieur·es se reconnaissent plus dans les discours en mégawattheure et kilojoule que dans les appels militants à sortir du capitalisme.

On en retrouve dans le public du Shift Project, un think-tank créé par Jean-Marc Jancovici, pour stimuler la réduction du CO2. L’ingénieur, spécialiste en bilan carbone, maîtrise à merveille les codes du discours scientifique. Pédagogue du climat sur Internet depuis le début des années 2000, il met sa verve, sa légitimité et son assurance au service de son autre conviction : la nécessité du nucléaire pour décarboner l’économie. Sa BD Le Monde sans fin, dessinée par Christophe Blain, sur les enjeux énergétiques donne le beau rôle à l’atome. C’est le livre le plus vendu de l’année 2022 – selon des chiffres GfK-Livres Hebdo, avec 514 000 exemplaires écoulés fin décembre.

Depuis Greenpeace, Pauline Boyer constate que « l’industrie du nucléaire et Jancovici ont semé le doute chez les militants qui n’ont pas l’historique de la lutte contre les centrales. Le nucléaire est un système qui repose sur la violence, le militaire, la croissance continue et la colonisation. C’est aussi un système opaque, avec beaucoup de désinformation. Beaucoup de gens se font berner ». Pour contrer ce retour en grâce du nucléaire chez certains écologistes, Greenpeace a commencé depuis deux ans à donner des formations auprès d’Alternatiba, une des principales organisations du mouvement climat.

« La politique climatique est la dernière raison pour laquelle il y a eu une réorientation en faveur du nucléaire », selon Yves Marignac. Quel rôle a joué la défense dans ce retour en grâce ? Le premier discours d’Emmanuel Macron préparant la relance du nucléaire est en partie consacré aux sous-marins nucléaires français : « Opposer nucléaire civil et nucléaire militaire en termes de production, comme en termes d’ailleurs de recherche, n’a pas de sens pour un pays comme le nôtre » car « l’un ne va pas sans l’autre. Sans nucléaire civil, pas de nucléaire militaire, sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil ». Un rapport sur les capacités industrielles de la filière nucléaire pour construire de nouveaux réacteurs commandé en 2018 par le gouvernement est resté secret défense.

« Il y un vrai manque de transition énergétique en France : on n’a pas accéléré les renouvelables, pas préparé la fermeture des centrales. On n’a rien fait ! », se désole une climatologue. « Si la France avait tenu ses objectifs sur les renouvelables, on aurait eu beaucoup moins de problèmes de crise énergétique », constate le climatologue Jean Jouzel.


En 2022, la France était le seul pays de l’Union européenne à manquer ses objectifs : éolien, solaire, hydraulique et bois ne représentaient que 19,1 % de la consommation finale brute, au lieu de 23 %. « Je ne suis pas antinucléaire, précise l’ancien vice-président du groupe 1 du GIEC, « mais je suis très attaché aux énergies renouvelables. Ma crainte aujourd’hui, c’est qu’on fasse du nucléaire et qu’on ne développe pas les renouvelables. »

Une loi d’accélération des énergies renouvelables a été votée début 2022. Mais suffira-t-elle à rattraper le retard français ? « Il n’y a pas de scénarios énergétiques compatibles avec les objectifs climat sans installation massive d’énergies renouvelables », rappelle Hélène Gassin, présidente de négaWatt. Or les éoliennes font l’objet en France de campagnes récurrentes de dénigrement, relayées jusqu’au sommet de l’État par l’animateur Stéphane Bern, nommé à la tête de la Mission patrimoine en péril en 2017 par Emmanuel Macron, et publiquement soutenues par l’épouse du chef de l’État – ce qui n’avait pas échappé au Figaro.

Il y a des gens de bonne foi qui pensent que le nucléaire, c’est plus facile à faire que de tout transformer. En plus, les éoliennes sont impopulaires. Alors pourquoi pas reconstruire des centrales ? C’est un peu une pensée magique.

Hélène Gassin, présidente de négaWatt :
La bataille contre les mâts est aussi un cheval de bataille de l’association Patrimoine nucléaire et citoyen, dirigée par Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, qui dénonce « la marche forcée » vers les renouvelables. En janvier 2022, l’association pro-nucléaire Cérémé, fondée par un ancien dirigeant du groupe Suez, Xavier Moreno, s’est offert une campagne de publicité contre la loi d’accélération des renouvelables dans le Journal du dimanche, Le Figaro, Les Échos, Le Parisien et L’Opinion, comme l’a remarqué la Lettre A : « La France a sous-investi dans le développement et la maintenance de son parc nucléaire depuis 15 ans. Corriger ce retard et revenir à un niveau de disponibilité d’au moins 75 % est parfaitement possible », peut-on y lire.

Le rejet des éoliennes a-t-il aidé à relancer le nucléaire ? « La bascule, c’est quand les pouvoirs publics ont mis les chiffres devant la stratégie bas carbone : vous vous retrouvez dans un monde où il faut plus d’électricité, explique un haut fonctionnaire spécialiste du sujet. Il fallait beaucoup d’énergies renouvelables. Et c’est le moment où le lobby anti-renouvelables et des élus locaux demandent un moratoire sur l’éolien. Ça mettait une grosse pression sur le gouvernement. »

Finalement, l’exécutif arbitre contre un moratoire sur les mâts terrestre mais réduit l’objectif d’installation, sauf en mer. Les annonces du discours d’Emmanuel Macron à Belfort sont le reflet « d’un choix politiquement de droite mais basé sur la science et influencé par l’acceptabilité de l’éolien », poursuit cet observateur, selon qui Emmanuel Macron « a été très sensible à la révolte de certains territoires ».

« Il y a des gens de bonne foi qui pensent que le nucléaire, c’est plus facile à faire que de tout transformer : les logements, les transports, l’industrie, analyse Hélène Gassin. Et en plus, les éoliennes sont impopulaires. Alors pourquoi pas reconstruire des centrales ? C’est un peu une pensée magique. » Les déclarations décomplexées anti-renouvelables et pro-nucléaire de Nicolas Sarkozy face au Medef en 2019 illustrent ce réductionnisme intellectuel, non sans brutalité.

Mais dans le concret de la vie quotidienne, « tout dépend du volume de consommation d’électricité : plus les évaluations de besoins sont hautes, plus tu as besoin d’électricité. Plus tu montes la courbe, plus tu peux caser de nucléaire, poursuit Hélène Gassin, selon qui « toute la mise en scène de la relance du nucléaire se fait autour de cette idée du besoin d’électrification. Or ces besoins dépendent de ce qui a été fait pour réduire la consommation d’énergie. »
Autre champ de bataille : le bâtiment, plus gros consommateur d’énergie en France. Le Grenelle de l’environnement a débouché sur de nouveaux objectifs et une nouvelle manière de calculer la performance d’un logement ou d’un bureau. Dans la ligne de mire : « la pointe » électrique, ce bond de consommation le soir, quand chacun·e rentre chez soi et rallume tous les appareils. La nouvelle réglementation (dite « RT2012 ») est jugée trop favorable au gaz, dont la part a beaucoup augmenté dans le chauffage des résidences principales depuis les années 1970 – mais baisse depuis 2009, selon le ministère de l’écologie.