Un nouveau récit national ? Le défi de la gauche pour 2027 !
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Pour battre l’extrême-droite, la gauche ne peut indéfiniment miser sur le barrage républicain. C’est une France des justes droits et devoirs qu’elle doit promouvoir, où l’écologie rassemble plutôt qu’elle ne divise. C’est en tout cas la conviction que défend dans cette tribune Florentin Letissier, Maire-adjoint de Paris en charge de l’économie solidaire et circulaire.

Une tribune publiée dans Usbek et Rica en Juillet 2024

Plus de 10 millions de voix. C’est le seuil historique auquel est parvenu le Rassemblement National et ses alliés au second tour des élections législatives. Bien que le pire, à savoir une majorité d’extrême-droite à l’Assemblée Nationale, ait été évité grâce à la belle surprise du Nouveau Front Populaire, la vague nationaliste ne cesse de monter d’élections en élections, et la perspective de sa victoire à la prochaine élection présidentielle est très crédible.

Que faire pour empêcher ce scénario de se produire ? À l’évidence, la posture défensive du barrage républicain ne sera pas longtemps efficace, tant on en a déjà usé de par le passé. Il faut donc résolument adopter une posture offensive, c’est-à-dire, convaincre les électrices et les électeurs de la pertinence et crédibilité d’un projet alternatif. Cela passe d’abord par la nécessité de dire à de plus en plus de Françaises et Français inquiets du déclassement tant de leur pays que de leur situation personnelle, que les véritables défenseuses de la France et ses habitant.e.s, dans un monde perçu comme toujours plus menaçant, se trouvent du côté des forces de gauche. La capacité à redonner des perspectives nationales positives est en effet très importante, dans notre pays où une large majorité de la population se déclare dans les enquêtes d’opinion « fière d’être française »[1].

Encore faut-il donner un contenu à cette fierté nationale, qui ne se confonde pas avec le projet nationaliste, c’est-à-dire de supériorité de son pays, et de rejet de l’étranger, dont l’extrême-droite fait son fond de commerce depuis toujours. « Le nationalisme, c’est la guerre », disait fort justement François Mitterrand, dans une formule mainte fois reprise depuis lors par les défenseurs de la construction européenne. Continent si longtemps déchiré par des affrontements armés entre États avides d’imposer leur domination à leurs voisins, l’Europe connaît à nouveau la guerre sur son sol, avec le conflit en Ukraine, même si les Françaises et Français n’y prennent pas directement part. Avec un Rassemblement National aux portes du pouvoir, dont par ailleurs les liens troubles avec le régime poutinien sont bien connus, il est urgent pour les forces de gauche de convaincre qu’elles sont porteuses d’un projet national qui protège et rassemble.

Alors en ces lendemains de 14 juillet, par où commencer ? Sans doute faut-il repartir à nouveau de ce que pensent les Françaises et Français. Des enquêtes d’opinion[2] ressortent deux éléments féconds. Pour de nombreuses personnes, la France, c’est une langue, le français. Et c’est une devise politique, celle de la République : liberté, égalité, fraternité. Le lieu privilégié de l’apprentissage de notre langue demeure évidemment l’école. Si fragilisée depuis de nombreuses années, elle est le pilier majeur autour duquel tout une cohésion nationale et sociale peut être rebâtie, à condition de lui en donner les moyens. Les valeurs de la République renvoient évidemment à un certain nombre de droits, au premier rang desquels ceux de la liberté d’expression et de la solidarité, toujours menacés par les régimes autoritaires. Mais aussi, à des devoirs qu’il appartient de faire respecter. À l’arbitraire de l’ordre social injuste promu par l’extrême-droite, où d’un côté les binationaux ou celles et ceux ayant des origines étrangères sont stigmatisés, quand de l’autre, les riches d’où qu’ils viennent sont exonérés de leur responsabilité à contribuer à la solidarité nationale à hauteur de leur fortune, la gauche doit convaincre de l’impératif de justes devoirs. À commencer par celui du vote, qui devrait devenir obligatoire. Celui aussi de payer des impôts à hauteur de ses moyens. Ou encore celui du respect de la laïcité, en particulier à l’école. Dans une France où la pratique religieuse ne cesse de reculer décennies après décennies, il est tout de même assez paradoxal de voir tant de résurgences de demandes de prises en compte des particularités de tel ou tel culte dans les enceintes scolaires. Si l’on veut demeurer encore longtemps dans une République où les chefs d’Etats ne prêtent pas serment sur des textes religieux, fait emblématique si précieux et si peu répandu dans le monde, il faut veiller à préserver nos acquis en matière de laïcité.

C’est donc une véritable bataille culturelle que la gauche doit mener, pour convaincre que sa vision de la Nation est bien plus souhaitable que celle de l’extrême-droite. Et au cœur d’une vision progressiste de la Nation, il y a bien évidemment l’écologie. Tant dénigrée par l’extrême-droite, elle est pourtant le combat du siècle, pour préserver les conditions d’habitabilité de la Terre. Elle revêt d’abord une dimension internationale, qui concerne chaque habitante et chaque habitant du monde, et appelle à des réponses coordonnées entre tous les Etats. La France garde encore aujourd’hui une voix forte dans le monde. Être à l’avant-garde des engagements pour le climat participerait à coup sûr du renouvellement d’une diplomatie éclairée et à la pointe du progrès, fidèle à l’esprit de certaines positions que notre pays a eu l’honneur de prendre par le passé et qui lui ont valu respect et admiration. Dire non à la guerre en Irak, ou porter dans les enceintes de l’ONU des engagements très forts pour la planète participent d’une même ambition humaniste : construire un monde qui refuse l’arbitraire des grandes puissances, œuvrer pour un dialogue multilatéral et rationnel pour trouver des solutions efficaces aux grands problèmes internationaux.

Au plan intérieur, cette grande ambition écologique nationale doit se porter d’abord sur le développement d’une agriculture et d’une industrie qui permettraient de subvenir davantage nous-mêmes à nos besoins essentiels, sans dépendre d’importations mondiales à la fois coûteuses et intenses en carbone et pollutions. L’avenir de l’économie est évidemment à la relocalisation, au fabriqué en France, aux circuits courts. En la matière, la gauche doit repenser et clarifier son rapport à l’Europe. D’un côté, l’Europe est indispensable comme puissance dans les grandes conférences climatiques mondiales pour espérer imposer des engagements environnementaux aux empires que sont les Etats-Unis et la Chine. Mais de l’autre, l’Europe doit complètement revoir son droit de la concurrence imposé aux Etats membres, qui ne cesse d’affaiblir les grands services publics nationaux, et repenser ses critères d’évaluation des finances publiques qui empêchent de distinguer la bonne dette (celle qui permet d’investir en faveur des énergies renouvelables et les transports collectifs notamment), de la mauvaise (celle qui continue à financer les énergies fossiles ou l’agriculture intensive par exemple).

C’est donc en arrivant à convaincre que son récit national est plus pertinent et désirable que celui de l’extrême-droite que les forces de gauche peuvent gagner la prochaine présidentielle. Faisons-en sorte que le Nouveau Front Populaire soit dans les prochains mois le lieu de construction de celui-ci.