1/ En quoi la crise sanitaire remet-elle en cause le modèle actuel ?
La crise sanitaire a percuté les modèles territoriaux.
Alors qu’elles concentrent les services et les opportunités, les métropoles semblent trop oppressantes, trop encombrantes, pour structurer une résilience pertinente et un bien être face aux crises. D’autant plus que la densité urbaine favorise la circulation de virus. Le modèle de développement territorial (néolibéral) s’étant concentré sur le rayonnement des métropoles, la crise a mis en exergue les inégalités territoriales dans l’accès aux biens, aux services mais aussi dans l’opportunité de penser la résilience.
Les territoires ruraux se sont vus attribués le statut de “refuge”, beaucoup de personnes cherchant la proximité d’éléments de nature et de paysages avant de se confiner.
Le slogan “restez chez vous” est à ce titre socialement situé : mesure facile à respecter pour les personnes disposant d’un certain confort d’espace, il met également en invisibilité les inégalités territoriales en terme de logement, de propreté et de sécurité des lieux. Ce slogan invisibilise également les différences de conditions d’apprentissage à la maison pour tous les élèves, de la maternelle aux études supérieures.
Cette crise nous démontre que le système néolibéral actuel a des limites, et met en lumière la question des communs. Les métiers relevant de communs comme la santé, l’agriculture et l’approvisionnement de denrées alimentaires, ou encore l’éducation, manquent de moyens.
On assiste aussi globalement à une remise en cause de la mondialisation, dont les flux matériels et immatériels ne semblent plus si indispensables, et ont en plus accéléré la propagation de l’épidémie.
Enfin, cette crise démontre une rupture profonde entre nature et culture : l’anthropocentrisme des sociétés occidentales met en invisibilité les grands écosystèmes et la fonction essentielle de la biodiversité – y compris pour éviter la propagation de virus à l’espèce humaine.
La crise sanitaire invite à repenser les interdépendances entre humains et non- humains.
2/ Quels sont les points de vigilance ?
Cette crise préfigure d’autres crises financière, démocratique, sociale, et climatique et écologique. En termes de démocratie, les réponses qui sont apportées pour le moment à la crise, marque une volonté, par nombre de politiques et d’intellectuels, d’un fort retour de l’État pour accompagner de manière forte la transition écologique : étatisation des industries et relocalisation sur le territoire national des chaînes de productions, contraintes financières, contrôle des frontières etc…
Cette approche entraîne néanmoins une tentation autoritaire déjà perçue en France (loi travail) et qui continue pendant le confinement. On constate des interpellations et des gardes à vue abusives. Malgré l’annonce d’un report des débats sur la loi retraite, la loi créant un “état d’urgence sanitaire” semble déployer une “stratégie du choc”. Elle attaque les acquis sociaux et les droits des salarié-e-s (congés, 35h, etc.). Alors qu’elle est censée apporter des mesures provisoires, celle-ci ne contient pas de date limite. Elle est également une atteinte aux libertés individuelles au travers d’un recours douteux à la surveillance, remettant en cause la capacité démocratique de l’État.
En termes de crise sociale et financière, le régime d’accumulation du capital ne se maintient qu’au prix de l’accroissement considérable de la dette publique et privée, qui représente en définitive un pari sur les richesses futures déterminées par un PIB obsolète, et que le système n’est plus en mesure de produire. Le retour d’un État puissant entraîne également, par son incapacité à penser des politiques précises sur les réalités sociales de chaque lieu, le risque de continuer à reproduire une uniformisation des territoires. Uniformisation pourtant à la source de nombre de problèmes sociaux et économiques.
En termes de crise climatique et écologique, il serait bon de maintenir un recul des pollutions atmosphériques grâce à la diminution drastique de circulation notamment des voitures. De rebondir sur cette crise pour légitimer l’importance de la biodiversité et des espaces de nature tant en termes sanitaires (les pandémies étant accentuées par les déforestations, l’urbanisation etc.), pour favoriser les politiques territoriales notamment de continuités écologiques. Le coronavirus ne doit pas mettre au second plan le dérèglement climatique. Les épidémies en sont l’une des conséquences.
3/ Quelle sortie de crise ?
Anticipation, adaptation, relocalisation, densification du service public, structuration de nouvelles formes de relations sociales dans les territoires semblent pouvoir être le cœur d’une nouvelle action politique. Les territoires pourraient être la matrice d’un développement économique au cœur des valeurs sociales et environnementales. Notamment en s’inspirant des démarches de l’économie écologique qui rappellent que les flux de ressources naturelles ne doivent pas être employés au-delà de leur taux de régénération. Les travaux sur les bio-régions pourraient être redécouverts. Également, mettre les politiques publiques au service du rééquilibrage de l’espace (diversification des centres d’activités, sources d’énergies, d’alimentation, accès aux transports, aux services de communication, diminuer les déplacements pendulaires et favoriser le télétravail…), tout en promouvant les territoires en transition.
Cela passe également par une remise en cause des projets inutiles et non vitaux (routes, publicité, etc.) pour prioriser les projets au service de la résilience à l’échelle de n’importe quel système socio-économique (individu, famille, quartier, ville, …). L’Etat alors, davantage que de centraliser de nouveau les pouvoirs et les compétences, pourrait avoir un rôle d’accompagnement des territoires, notamment des territoires en difficultés (anciens bassins industriels, territoires enclavés etc…), par des subventions dirigées et une relocalisation des activités.
Cela demanderait néanmoins de réformer complètement la mille-feuille administrative. Un habile dialogue entre le régionalisme et le fédéralisme nous apparaît comme une porte de sortie intéressante. Il serait intéressant, après la crise, de voir comment des états fédéraux communautaires, à l’image de la Suisse, ou des régions autonomes ont fait face. On aurait alors un outil de comparaison pour voir quelles sont les formes de gouvernance qui permettent des adaptations pertinentes.
Il faudra néanmoins garder en tête que le débat est biaisé dans tous les cas, puisque la crise sanitaire est en grande partie le résultat d’un monde régulé depuis de plusieurs décennies par l’autorité des états nations et du marché capitaliste.