
La révolte du monde agricole qui secoue la France et l’Europe doit être l’occasion d’une remise en question d’un modèle à bout de souffle.
Faute de quoi, les mesures d’urgence n’auront qu’un impact très limité.
De quoi parle-t-on ?
D’une agriculture intensive, voulue par l’agro-business, qui a promu un système de subventions publiques favorisant les grands exploitants et l’exportation.
C’est ce modèle qui a abouti à la disparition de la plupart des exploitations familiales en France : 100 000 exploitations ont périclité entre 2010 et 2020, soit une ferme sur cinq. C’est ce modèle qui élimine les petits producteurs, et notamment les éleveurs, à l’origine de la mobilisation dans le Sud Ouest. Rappelons qu’il s’agit d’un choix des gouvernements libéraux et sociaux-démocrates qui se sont succédés au pouvoir depuis des décennies, mais aussi de la FNSEA où les plus riches propriétaires – notamment les céréaliers – sont en position de force.
Or, que nous disent les gestionnaires du système en place ? “C’est la faute aux écolos”. Non mais sans rire ! Fraîchement nommé à Matignon, Gabriel Attal n’a pas hésité à se vautrer dans la caricature. “Certains discours portés sur nos agriculteurs les présentent comme des bandits, comme des pollueurs de nos terres, comme des tortionnaires de leurs animaux” a déclaré le Premier ministre, pointant du doigt les bancs de la gauche et des écologistes à l’Assemblée Nationale.
Quant à Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, largement dépassé par sa base, il tente de faire diversion en dénonçant les normes environnementales, les jachères ou encore l’usage des pesticides. Rappelons que Mr Rousseau, président du conseil d’administration du géant agroalimentaire Avril ( 73 sites industriels et 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022) est un Janus à double face : Défenseur des paysans exsangues devant les caméras, il est, dans la vraie vie, le grand patron d’une industrie qui participe à l’asphyxie des paysans.
Son groupe, (connu pour les huiles Lesieur par exemple) a réalisé la moitié de son résultat à l’étranger : les accords de commerce internationaux tels que le Mercosur, que Mr Rousseau fait aujourd’hui mine de dénoncer, sont donc au cœur de ses intérêts économiques.
On peut d’ailleurs poser la question : combien d’accords européens ont été voulus par la France depuis des années – sans que la FNSEA ne s’y oppose ? Le dernier – signé avec la Nouvelle-Zélande, n’est pas très vieux puisqu’il date de novembre 2023. Il prévoit de supprimer les droits de douane sur les kiwis, les pommes, les oignons, et autorisera l’importation sur de dizaines de milliers de tonnes de viande bovine, de beurre, de fromages ou de lait en poudre.
Notons par ailleurs que le couple Rousseau-Attal – en charge de “régler” la crise agricole actuelle – n’a jamais abordé la question de la répartition des aides agricoles. Or, si 18 % des foyers agricoles vivent sous le seuil de pauvreté, 80 % des aides de la PAC sont captées par une minorité d’agriculteurs – toujours les plus riches. Ce point n’est pas à l’agenda de la FNSEA, et l’on ne s’en étonne guère…
Au final, les meilleurs alliés des agriculteurs ne sont pas ceux que l’on croit, et il est temps de dessiner une nouvelle alliance entre le monde paysan et les militants écologistes. Oui, depuis des années, nous prônons un modèle agricole conciliant souveraineté alimentaire, justice sociale et respect de l’environnement. Nous prônons une rupture nette avec des traités de libre échange qui sacrifient l’agriculture paysanne d’ici et d’ailleurs. Nous voulons une annulation de la dette des agriculteurs et de nouvelles aides, distribuées en fonction de la quantité de main-d’œuvre employée et non des surfaces exploitées. Encourager l’emploi de main-d’œuvre plutôt que les machines et la chimie, c’est aussi permettre une agriculture moins dépendante des pesticides, une meilleure santé pour les agriculteurs et les consommateurs.
Alors, non, messieurs Attal-Rousseau, les écologistes ne sont pas les ennemis des agriculteurs, bien au contraire. C’est votre agriculture productiviste qui fait crever nos campagnes. Ce sont vos mensonges qui font crever les agriculteurs. Vous n’avez aucune solution sérieuse à proposer. Il est temps de laisser la place.