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une tribune d’Alain Coulombel, membre du bureau exécutif des Écologistes,
Il y a quelques jours, nous apprenions la disparition définitive d’un petit échassier des zones humides, le courlis à bec grêle (Numenius tenuirostris de son joli nom scientifique), dont l’aire de répartition très vaste s’étendait des zones humides côtières du Moyen Orient aux steppes humides de Russie centrale. Première extinction d’une espèce continentale d’oiseau en Europe liée probablement au drainage intensif des zones humides pour l’agriculture aggravée par la chasse dont le petit limicole a subi la pression.
Mais qui se soucie encore de ce petit oiseau à bec grêle ? Certes pas, la cohorte des illuminés de la Tech qui ont fait de l’Intelligence Artificielle leur nouvel Eldorado, moins encore les Bezos, Musk ou Zuckerberg, ces nouveaux prométhéens rêvant de terraformer Mars ou Vénus ou de remplacer l’homme par des robots intelligents. Plusieurs milliers d!espèces sont déjà considérées comme menacées, certaines en déclin, d’autres frôlant dangereusement l’extinction. Parmi elles, plus de 6000 espèces sont reconnues comme «en danger critique» et 873 sont désormais totalement éteintes mais on continue, comme disait l’autre, à regarder ailleurs vers l’horizon non négociable de la croissance. « Dans la sphère politique en
place, alerte Dominique Bourg, y compris chez une partie des Verts, personne ne veut admettre que le maintien de la croissance entraîne inéluctablement la destruction des conditions d’habitabilité de la Terre».
A cet égard le débat budgétaire en France est proprement ahurissant. Tandis que les scientifiques, les chercheurs, les naturalistes nous alertent sur la possibilité d’un effondrement de la civilisation industrielle, dont la disparition tragique du courlis à bec grêle en est une manifestation parmi d’autre, l’aveuglement des politiques et des acteurs économiques est proprement suicidaire. Tout converge déjà vers une planète partiellement inhabitable, des sols dégradés perdant leur qualité nutritive, des forêts calcinées, des chaleurs humides, des glaciers qui reculent ou disparaissent mais la pensée dominante qui se réfère à des croyances et des représentions datant d’une autre époque, continue de promouvoir un modèle centré sur la croissance donc sur la prédation des ressources énergétiques et matérielles, la hausse inexorable des émissions de GES et la sixième extinction des espèces.
Mais tout à leur obsession du déficit, le Premier ministre et sa majorité sabrent dans les politiques environnementales et désignent l’office de la biodiversité à la vindicte des agriculteurs. Du coté de l’Europe, l’avenir n’est guère plus radieux, le Pacte Vert ayant du plomb dans l’aile attaqué par les
droites et extrêmes droites européennes qui ont fait de l’écolo bashing leur fonds de commerce, loin de l!urgence devant laquelle nous sommes placés.
Le monde a basculé dans un nouveau régime climatique qui n’épargnera personne, ni les Suds ni l!Europe.
Or la passion mortifère de la croissance nous empêche de nous attaquer aux racines du problème, avec les connotations « positives » qui lui sont liées : progrès, prospérité, bien-être ou protection. Sortir de la croissance, de son imaginaire, par une réduction drastique de la production et de la consommation, seule susceptible de réduire notre empreinte écologique, est un impératif. Le solutionnisme technologique, qui considère que nous pouvons optimiser une nature imparfaite, ne remplacera pas le courlis à bec grêle, ni le lézard crocodile de Chine, ni le manchot de Magellan, tous deux menacés par la pollution et la déforestation.
Faut-il que nous soyons devenus à ce point insensibles à la richesse du vivant pour lui préférer une ligne de codes, l’abstraction des indicateurs macroéconomiques (PIB, ROI, critères de Maastricht) ou la montée en puissance de dispositifs technico-économiques s’autorégulant ? La disparition tragique du courlis à bec grêle devrait nous alerter et renverser l’ordre de nos priorités : la décroissance (post-croissance) plutôt que la croissance, le soin plutôt que la prédation, la mesure plutôt que la démesure.
Dernier ouvrage paru : « Petit traité de la démesure », Éditions le Bord de l’Eau