
Michèle Rivasi, ce roc que l’on pensait invincible s’en est allée. Brutalement. Nous laissant sous le choc et dans une immense tristesse.
Michèle était une femme d’exception : le courage et la volonté en politique incarnée. C’était une combattante hors norme, une scientifique (normalienne et biologiste de formation), une bâtisseuse de projets, d’utopies concrètes. Une femme de combats que l’on peut ramifier par une volonté indéfectible d’en finir avec la capture scientifique et réglementaire des lobbies industriels. Une vie de militante et d’élue contre l’opacité, pour la protection du vivant, la transparence, la vérité et la justice.
Michèle était avant tout une incroyable militante de terrain réconciliant écologie des villes et des champs, au contact des collectifs, des associations, des scientifiques, des lanceurs d’alerte mais aussi une pugnace parlementaire respectée dans l’institution, obtenant des victoires impossibles, comme le vote par le Parlement européen de sortie du glyphosate en 2017, après avoir convaincu des centaines de parlementaires du danger de renouvellement de ce poison par l’Union Européenne. Du matin au soir, de la buvette du Parlement au retour dans le Thalys, Michèle interpella tous les parlementaires qu’elle croisait, les convaincant unE a unE. Malheureusement, la logique intergouvernementale et les égoïsmes nationaux en ont décidé autrement. Mais cette victoire était une prouesse.
Elle avait un grand respect pour tout le monde, une écoute exceptionnelle pour tous ceux qui se battent, qui sont vivants, qui réclament justice et vérité. Pour les humbles d’abord, les invisibles. Elle détestait par dessus tout les mandarins, les sachant pontifiant, les tièdes et les suffisants.
Elle avait fait sienne la fameuse citation de René Char : « ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience ». J’avais 13 ans quand j’ai découvert à la télé un samedi soir cette femme solaire,
lumineuse sur le plateau de Michel Polac « Droit de réponse », s’agitant avec l’énergie et la force de conviction qui la caractérise pour dénoncer le mensonge d’État de Tchernobyl, le nuage radioactif qui s’est arrêté à la frontière.
En 2012, j’étais avec elle quand a été reconnu innocent par la Cour de Cassation le professeur Pellerin (ancien directeur du service de protection nucléaire, auteur du mensonge). C’est la seule fois où j’ai vu des larmes couler des yeux pétillants de notre Amazone de l’écologie. Elle m’a dit « tu te rends compte qu’il m’a volé 25 ans de ma vie, qu’il m’a privé d’une paisible vie aux côtés de mes enfants ce salaud ».
Car si Michèle était une femme bonne vivante, aimant faire la fête, danser, le bon vin, les bonnes nourriture terrestres, son engagement ne fut pas un long fleuve tranquille. Elle savait les sacrifices qu’elle avait fait pour défendre ses causes. Elle fut l’objet de menaces, de calomnies, de mépris. Mais resta toujours debout, ne tombant jamais dans les attaques de basse cour.
De la Criirad au Parlement européen en passant par l’Assemblée nationale ou son poste d’élue locale à Valence, Michèle mena d’innombrables combats : contre le nucléaire, la pollution électro-magnétique, les gaz de schiste, les OGM, les pesticides, les boues rouges, le chloredécone, les forages pétroliers en Méditerranée, l’extractivisme en Afrique et en Amérique latine, les scandales sanitaires (amiante, syndrome de la guerre du golfe, mediator, Levothyrox, prothèses PIP, Depakine, adjuvants aluminiques…), les grands projets inutiles (ITER, Sivens, Notre dame des Landes, contournement autoroutier de Camargue, Stocamine…)… Michèle initia aussi une grande marche dite des cobayes à pied de Fos sur Mer à Paris pour la reconnaissance du crime industriel.
Michèle réalisa de multiples projets concrets également au cours de ses mandats : pour développer les circuits courts et une alimentation bio, locale et de qualité dans les cantines de la Drôme, pour créer un centre de recherche sur les électrohypersensibles, pour redévelopper la phagothérapie afin de lutter contre l’antibiorésistance, pour rapprocher l’Europe des territoires et soutenir des projets d’éco-développement en créant une Maison de l’Europe Drôme / Ardèche, pour la création d’un institut public de fabrication de
médicaments essentiels afin de faire face aux pénuries, pour l’autonomie énergétique et alimentaire de villages en Afrique via sa délégation Afrique Caraîbes Pacifique…
Enfin, Michèle savait la nécessité de s’appuyer sur de nouveaux imaginaires, d’inventer de nouveaux récits d’avenir soutenable et désirable pour élargir socialement le champ de l’écologie et amener à ce nouveau paradigme des gens qui ne sont pas néEs écologistes.
Elle s’appuya beaucoup sur les films de Jean Paul Jaud, Marie Monique Robin ou son amie Coline Serreau pour cela. Elle soutiendra également des festivals comme l’historique festival du vent de Calvi ou plus récemment le festival Métamorphoses dans les Alpes.
Il me revient une phrase prêtée à François Mitterrand dans le très beau film de Robert Guédiguian Le promeneur du Champ de mars. Il dit à l’oreille du jeune journaliste au crépuscule de sa vie « Après moi, il n’y aura plus que des comptables ».
En ayant eu la chance d’accompagner Michèle durant des années, je me suis posée cette question : mais qui sera là quand Michèle ne sera plus élue pour reprendre le flambeau de sa bataille pour la reconnaissance des victimes de scandales environnementaux et sanitaires ?
Espérons (je n’en doute pas) qu’elle aura su inspirer et laisser derrière elle parmi les écologistes et les eurodéputéEs, d’autres combattantEs d’une écologie de la libération, proche des territoires, des gens, des victimes des puissances de l’argent et des lobbies, des sans voix…
Pour toujours et à jamais, Michèle restera pour moi un modèle d’intégrité, d’humanité, de générosité, d’authenticité.
C’était une élue « pas pareille » et cela lui donna une sorte d’immunité face à la défiance de la classe politique. Michèle était respectée des jeunes écologistes radicaux et désobéissants, de politiques de tous bords, du monde scientifique, économique, agricole et culturel avec lesquels elle savait nouer des rapports singuliers et rendre féconds des désaccords.
Mille merci à elle pour l’héritage politique qu’elle nous laisse.
Nous tâcherons d’être à la hauteur et de poursuivre les combats qu’elle a mené.
Pensées émues et affectueuses pour ses proches, pour ses filles, ses petits enfants et toutes celles et ceux qui l’entouraient dans son paradis drômois où elle savait se réfugier, se ressourcer pour mieux repartir au combat avec une énergie toujours renouvelable.
Repose en paix Michèle.
Longo Maï.