
« Pour faire de l’école un bien commun, mettons fin aux ghettos scolaires »
C’est avec consternation et stupeur que les écologistes ont appris la nomination d’Amélie Oudéa-Castera à la tête de l’Éducation nationale en pleine préparation des Jeux Olympiques. Ce sentiment d’incompréhension n’a fait que s’accroître avec, d’une part les propos méprisants de la Ministre à l’égard de l’école publique dès sa prise de fonction, et d’autre part la conférence de presse du Président de la République, à la tonalité réactionnaire et rétrograde.
« C’est la pire des injustices, l’inégalité de départ ». a déclaré le Président. Pourtant, tout depuis 2017 révèle l’indifférence complète du gouvernement à l’égard de la ségrégation scolaire générée par la coexistence de deux systèmes d’éducation, l’un public, l’autre privé. Pour s’en convaincre, il n’est qu’à se souvenir du silence coupable des autres membres de l’exécutif lorsque Pap Ndiaye, non sans courage, avait osé évoquer une forme légère de modulation des aides aux établissements privés. Depuis son éviction, ni le Président, ni le Premier Ministre actuel, ni aucun poids lourd de la majorité ne s’est exprimé sur le sujet. Nous n’avons pas oublié, nous élu·es, enseignant·es, ou simples militant·es, les effets explosifs des ghettos scolaires de riches et de pauvres sur la cohésion sociale.
La ségrégation sociale dans les établissements contribue à la défiance envers les institutions et les valeurs de la République. Or, la République n’est pas un dogme ou une évidence, mais une construction permanente. Elle est, comme le disait Jean Jaurès, « un grand acte de confiance ». Comment ce “grand acte de confiance” pourrait-il se matérialiser si les citoyens riches et pauvres ne se sont jamais assis sur les mêmes bancs ? On peut résumer la croyance de celles et ceux qui ont bâti l’école publique moderne avec la formule de Ferdinand Buisson : “La République a fait l’École, l’École fera la République. » Mais si l’école est fracturée en deux, qu’en sera-t-il de la République ?
Face à cela, le vocable du “réarmement civique” et les solutions proposées par le Président témoignent de l’absence de compréhension du problème, voire même d’une forme de complaisance à l’égard du séparatisme social à l’œuvre dans le champ éducatif.
Les deux propositions emblématiques du gouvernement ne sauraient répondre à l’immense fracture que nous observons sur le territoire. L’uniforme serait bien inutile notamment dans une société spatialisée en fonction des origines sociales. Quant au SNU, forme détournée de service militaire, il ne pourrait guérir en deux semaines le poison du manque de mixité depuis le plus jeune âge.
Pour résoudre cette crise de la fraternité, nous partageons cette conviction : en matière de mixité, il n’y aucune fatalité. La ségrégation spatiale ne suffit pas à expliquer la ségrégation sociale de l’école, qui est d’abord le fait des plus aisés, créant des ghettos scolaires de riches. Elle ne peut donc pas constituer une excuse pour l’inaction. Nous souhaitons aujourd’hui, fort.es de nos expériences locales et parlementaires, soumettre quelques réflexions au débat public.
La première solution, la plus importante à nos yeux, est de donner un cap à l’action publique en veillant à ce qu’il n’y ait plus aucun établissement scolaire en France comptant plus de 60% d’élèves favorisés ou défavorisés. Cette disposition “anti ghettos scolaires” toucherait environ 300 000 élèves, scolarisé·es dans une centaine de collèges, et viserait à renforcer les efforts budgétaires sur un nombre restreint d’établissements où se concentrent les plus grandes difficultés. Comme l’a montré la métropole de Haute-Garonne, la coopération étroite entre État, collectivités locales et associations est la condition sine qua non de réussite. Dans cette perspective partenariale, il semble aussi indispensable que les rectorats co-construisent les cartes scolaires des collèges avec les élus locaux, comme c’est le cas pour les lycées. L’Éducation nationale devra aussi affecter des moyens pour accompagner les personnels à ces modifications structurelles.
Cet objectif serait accompagné par une disposition largement plébiscitée par la communauté éducative : la modulation des dotations aux établissements en fonction d’objectifs de mixité sociale. Largement compatible avec la loi Debré, cette mesure est indispensable pour permettre de rétablir l’équité aujourd’hui rompue entre public et privé. Comment justifier, par exemple, que les moyens d’enseignement par élève attribués par le rectorat de Paris soient supérieurs dans les lycées généraux privés à ceux de leurs homologues du public? Aucun autre État de l’OCDE ne finance autant sa propre concurrence avec les impôts du contribuable.
Enfin, les politiques de mixité nécessitent une gouvernance particulière qui doit s’incarner par la création d’un conseil national de la mixité composé de plusieurs ministères, des collectivités, des syndicats, ainsi que des associations d’éducation populaire. Ce conseil serait relayé sur le terrain par des observatoires départementaux, chargés de conseiller et d’affiner les analyses territoriales avec des spécialistes de ces questions, en particulier issus du monde de la recherche.
Ces quelques pistes ne constituent bien évidemment pas un manuel miracle pour résoudre des problèmes aussi complexes. Sans coopération à tous les échelons, sans cap précis et surtout sans moyens pour l’école publique, toute politique de mixité est vouée à l’échec. Il revient désormais au gouvernement de mettre en œuvre de vraies solutions pour éviter ce que nous observons : la formation de citoyen·es si dissemblables qu’iels ne se comprennent plus.
Signataires :
Marine Tondelier, Secrétaire Nationale du parti les écologistes
Philippe Meirieu, Professeur d’université honoraire
Francesca Pasquini, Députée écologiste, Membre de la Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation
Jean-Claude Raux, Député écologiste, Membre de la Commission des Affaires culturelles et de l’Éducation
Sabrina Sebaihi, Députée écologiste
Monique de Marco, Sénatrice écologiste Membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication
Mathilde Ollivier, Sénatrice écologiste, Membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication
Thomas Dossus, Sénateur écologiste
François Thiollet, Député Européen écologiste
Sophie Bussière, porte-parole des écologistes
Aminata Niakaté, porte-parole des écologistes
Antoine Guéneau, responsable du groupe de travail sur la mixité des écologistes
Ombeline Accarion, co-responsable de la commission enfance, éducation et formation des écologistes
Arnaud Bonnet, co-responsable de la commission enfance, éducation et formation des écologistes
Djéhanne Gani, co-référente éducation Générations.s
Claudine Caulet, Adjoint éducation, écoles, restauration scolaire ville de Besançon
Myriam Devingt, Adjointe déléguée à l’éducation, l’enfance et la jeunesse à Auray
Boris Dulac, Adjoint au Maire délégué à l’Éducation, l’Enfance et l’Éducation Populaire de Colombes
Christine Garnier, Adjointe au maire déléguée aux écoles à Grenoble
Stéphanie Léger, adjointe Education à la ville de Lyon
Lydie Mateo, Adjointe au maire Chargée des parcours éducatifs, de l’éducation et de l’enfance à Chambéry
Richard Merra, Délégué aux projets de cité éducative, de jardin des mathématiques, de maison de l’étudiant à Genevilliers
Véronique Moreira, Vice-Présidente de la métropole du Grand Lyon à l’éducation et aux collèges
Hélène Paumier, Adjointe à l’éducation et aux écoles publiques de Poitiers
Ghislaine Rodriguez, adjointe au maire à l’éducation, la réussite éducative et la restauration scolaire de Nantes
Gaëlle Rougier, Adjointe à l’éducation à la Ville de Rennes
Sylvie Schmitt, Adjointe à l’éducation, l’enfance et la jeunesse à Bordeaux
Sonia Tron, adjointe éducation à Villeurbanne
Jacques Vince, Conseiller municipal délégué Réussite éducative à Villeurbanne