Tribune. Covid, crise financière, réchauffement climatique et adaptation des territoires : face aux enjeux contemporains, les campagnes reviennent de force dans le débat public. Mais dans les images et les discours qui sont véhiculés sur ces espaces, les campagnes restent les grandes prisonnières des projections construites pour et par les politiques urbaines, et bien souvent d’une vision jacobine et parisienne de l’aménagement du territoire. Ces projections privent les campagnes de ce qu’elles sont réellement et leur rendre justice invite à déconstruire les images de la ruralité. Une image littéraire d’abord, renvoyant les espaces ruraux à des lieux calmes, où douceur de vie, harmonie avec la nature, lenteur et quiétude deviennent la promesse d’une vie.
Cette image, si elle reste poétique, est un rêve. C’est une campagne fantasmée, qu’on retrouve dans quelques vers de Rimbaud et des images d’Epinal, mais qui n’offre aucune consistance réelle pour penser un renouveau dans le vivre ensemble, pour penser un projet politique adapté aux réalités locales. D’un autre côté, la campagne est souvent perçue dans le débat public comme un espace de relégation. Un lointain que l’on tend à marginaliser, un lieu d’oubli des politiques publiques, de l’aménagement du territoire, un lieu où se concentre misère, pauvreté et manque d’opportunités. Les campagnes seraient condamnées au renoncement, condamnées à caractériser la France périphérique qui fait régulièrement la une des journaux, condamnées à n’être qu’à l’arrière-plan d’une France de progrès qui s’inventerait uniquement pour et par les centres urbains et les grandes métropoles.
Sans nier que certains ruraux vivent actuellement des difficultés, résumer les campagnes à une image de pauvreté sociale et culturelle reste un piège qui tend à priver les espaces ruraux et leurs habitant·e·s de leurs propres récits, souvent complexes et souvent pluriels : dans les campagnes comme dans les villes, se retrouvent des gens qui vont bien comme des gens qui vivent des difficultés, de l’ouverture autant que du renfermement sur soi, de l’innovation et de nouvelles filières d’emploi, autant qu’une fuite des opportunités vers les territoires urbains.
Les oubliés de l’histoire
Ces deux récits, où la ruralité est parlée par l’urbain, s’ils apparaissent antagonistes, sont alimentés par une seule et même source : celle de dénuer les campagnes d’un sens commun. Ces deux récits privent les territoires ruraux des relations qui les composent, de leurs épaisseurs anthropologiques et politiques, de leurs propres valeurs, des ambitions et espoirs qui les fédèrent, des doutes et des peurs qui les animent. Ces récits relèguent les territoires ruraux en position subalterne, ils deviennent les oubliés de l’histoire.
Nous écologistes, refusons d’en rester à ce constat. Nous prônons une autre considération des campagnes françaises et souhaitons redonner leur juste place aux territoires ruraux. Nous pensons qu’ils ont une diversité à apporter aux mondes, ils regorgent de trésors démocratiques, agricoles, culturels. Les campagnes peuvent être des terres où s’inventent de nouvelles relations à l’autre, des phares dans les transitions écologiques et sociales à apporter, ainsi que des espaces d’expérimentation et de partage. Enfin, celles-ci apportent à nos villes des services indispensables : forêts, eau, alimentation, énergie dans un équilibre de plus en plus fragile qui appelle de nouvelles solidarités entre villes et campagnes.
Ecouter les campagnes
Face à des villes parfois précarisantes, ces équilibres sont à sauvegarder et à pérenniser amenant les espaces ruraux à devenir les nouveaux gardiens de coopérations territoriales à établir. Les campagnes doivent de nouveau devenir le miroir de ce qu’elles sont réellement, des espaces d’enjeux, des espaces d’accueil, des espaces de choix. Changer notre vision sur les campagnes invite à trouver une part de vérité dans la complexité qui compose chaque territoire : tout comme les villes, elles sont plurielles et complexes, et c’est en réaffirmant la singularité de chaque lieu et l’originalité des enjeux qui les composent que nous trouverons des solutions adéquates aux enjeux contemporains. Pour cela nous devons donner la parole et écouter les campagnes, nous laisser enseigner par les paroles rurales.
Signataires : Damien Deville géographe et anthropologue, mission territoire chez EE-LV ; Vincent Laurent consultant en communication, producteur de documentaires radios, mission territoire chez EE-LV, militant écologiste à Toulouse ; Marie Toussaint députée européenne ; Damien Carême député européen ; Esther Benbassa sénatrice ; Marine Tondelier conseillère municipale à Hénin-Beaumont ; Claire Desmares Poirrier autrice et militante écologiste en Ille-et-Vilaine ; Michelle Rivet maire de Marçais (Cher) et vice-présidente déléguée à l’environnement et au développement rural à la région Centre-Val de Loire ; Hélène Hardy membre du bureau exécutif d’EE-LV ; Jean-Marc Soubeste conseiller municipal à La Rochelle ; Katia Bourdin conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine ; Léo Tyburce conseiller municipal et communautaire à Reims ; Michel Wilson militant écologiste à Lyon ; Katy Vuylsteker conseillère municipale à Tourcoing ; Alain Coulombel porte-parole d’EE-LV ; Jean-Baptiste Pegeon militant écologiste ; Vincent Dubail conseiller municipal à Puteaux (Hauts-de-Seine) ; Hélène Cabanes conseillère municipale et métropolitaine à Toulouse ; Virginie Charrière militante écologiste dans la Nièvre ; Antoine Maurice conseiller municipal et métropolitain à Toulouse ; Elisabeth Millard militante bio-régionaliste ; Nadia Belaala militante écologiste à Montreuil (Seine-Saint-Denis) ; Julie Nicolas conseillère municipale à Lille ; Chloé Sagaspe membre du bureau exécutif d’EE-LV ; Danon Lutchmee Odayen militante écologiste à la Réunion ; Malika Errajafiallah militante écologiste à Paris ; Agnès Langevine vice-présidente de la région Occitanie ; Nicolas Thierry vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine ; Jérémie Iordanoff membre du bureau exécutif d’EE-LV ; Maryse Combres conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine ; Charlotte Soulary membre du bureau exécutif d’EE-LV ; Pascal Barbier conseiller municipal à Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne) ; Anne Babian-Lhermet conseillère municipale à Bellerive-sur-Allier (Allier) ; Catherine Lopes Pires militante écologiste à Nevers ; Eric Mourey conseiller municipal à Varennes-Vauzelles (Nièvre) ; Nathalie Charvy conseillère municipale à Nevers ; Charles Fournier vice-président de la région Centre-Val de Loire ; Léa Balage El Mariky membre du bureau exécutif d’EE-LV ; Guillaume Cros vice-président de la région Occitanie ; Sophie Buissière avocate, militante écologiste au Pays basque ; François Thiollet conseiller municipal de Valencisse (Loir-et-Cher) ; Viviane Thivent conseillère municipale et communautaire à Narbonne ; Sabrina Sebaihi adjointe à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) ; Claire Mallard militante écologiste en Saône-et-Loire ; Judith Leray conseillère municipale et communautaire à Saint-Etienne-de-Montluc (Loire-Atlantique) ; Laetitia Sanchez maire de Saint-Pierre-du-Vauvray (Eure) ; Jérôme Orvain conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine ; Eva Sas porte-parole d’EE-LV ; Nicole Fréchou militante écologiste dans le Tarn ; Alain Rouat militant écologiste dans la Nièvre ; Michelle Maxo militante écologiste en Guadeloupe ; Sylvie Dupart-Muzerelle conseillère municipale à Nevers ; Annie Lahmer conseillère régionale d’Ile-de-France ; Nicolas Bonnet adjoint au maire de Clermont-Ferrand en charge de l’alimentation ; Raymonde Poncet militante écologique à Lyon ; Sarah Persil militante écologiste dans le Jura ; Brigitte Monnet maire de Val-Sonnette (Jura), vice-présidente de la communauté de communes Porte du Jura en charge du social ; Jérémie Crépel membre du bureau exécutif d’EE-LV ; Monique de Marco conseillère municipale à Talence (Gironde) ; Marie-Agnès Chalumeaux militante écologiste à Dole (Jura).
Telle entreprise demande un double courage politique. Celui de refuser les recettes toutes faites d’abord afin de construire des solutions politiques et citoyennes endogènes, adaptées à la singularité de chaque lieu. En effet, le futur des campagnes n’a de sens que s’il appartient avant tout à leurs habitant·e·s, que s’il s’adapte aux équilibres écosystémiques propres à chaque région, que s’il considère la relation à l’autre, entre humains et avec la nature, comme pilier premier et prioritaire de l’action politique. Celui de porter des espaces de rencontre entre différents régimes d’engagement ensuite. Pour repenser le vivre ensemble dans les campagnes, pour en faire des terres de partage et de solidarités, nous avons autant besoin des associations, des entreprises, des paysan·ne·s, des artistes, des intellectuel·le·s que des élu·e·s. C’est en mélangeant nos actions et nos pensées que nous saurons rendre aux campagnes ce qu’elles méritent : un récit dont elles sont premières gardiennes et les meilleures ambassadrices.
Nous, écologistes, invitons toutes les personnes se retrouvant dans ces mots à participer aux débats et à fertiliser le champ des possibles dans les territoires ruraux. Nous porterons de notre côté, pour la première fois, des rencontres à Nevers le 10 octobre pour penser les campagnes qui feront les mondes de demain. Puisse la République renouer avec la diversité de ses territoires, puisse la République abriter de nouveaux territoires écologiques et solidaires.