19 Février 2020 : un article de Libération : A Paris, Extinction Rebellion empêche les bétonneuses de tourner rond
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Par Nelly Didelot, photos Cyril Zannettacci. Vu pour Libération — 17 février 2020 à 13:28

Environ 400 activistes du mouvement occupent depuis ce lundi matin une usine Cemex et Lafarge dans le sud de Paris, empêchant les camions de livrer en béton plusieurs chantiers de la région.

C’est un bord de Seine qui n’a rien de bucolique. Un alignement de silos de stockage de matériaux de construction et de hangars, bordé par le périphérique. Tous les jours, des dizaines de camions partent de cette zone de production de béton du quai d’Issy-les-Moulineaux, dans le sud-ouest de Paris (XVe arrondissement), pour ravitailler les plus gros chantiers de toute l’Ile-de-France. Ce lundi matin pourtant, la noria de bétonneuses s’est arrêtée, bloquée avant le lever du jour par près de 400 activistes d’Extinction Rebellion, ce mouvement écologiste qui mise sur la désobéissance civile pour se faire entendre.

Après avoir occupé la place du Châtelet, à Paris, pendant quatre jours en octobre, après avoir ciblé le Black Friday et la surconsommation en novembre, l’organisation s’attaque aujourd’hui à l’industrie de la construction. «C’est un secteur entier à changer, du prélèvement du sable utilisé pour le béton à ces grands projets inutiles et imposés, explique Tothoreau (1), l’un des initiateurs de ce projet préparé depuis octobre. Le problème est environnemental, avec le prélèvement du sable qui détruit les littoraux et les fonds marins ou la bétonisation des terres agricoles, mais aussi démocratique avec ces immenses projets qu’on impose aux citoyens, sans les consulter. En Ile-de-France, on croule sous les exemples.» En s’en prenant à ces dépôts Cemex et Lafarge, les écologistes espèrent bloquer «à la source» les chantiers du Grand Paris qui sont alimentés en béton depuis ce bord de Seine.

Dès l’arrivée des activistes, le site a pris des allures de fourmilière. Assis par terre en tailleur ou bras attachés à des jardinières géantes, quatre groupes bloquent les entrées. Plus haut, des grimpeurs en baudrier escaladent les échelles pour suspendre aux silos des banderoles proclamant «Cimentiers criminels».

Drapeau vert orné du symbole de XR (un sablier dans un cercle pour symboliser l’urgence environnementale), Greener passe de groupes en groupes. «J’ai grandi juste en face. Il y a une école primaire tout près, où les taux d’asthme sont bien plus élevés que la moyenne à cause des pulvérisations de granulats, assure l’homme d’une vingtaine d’années. C’est un problème local qui s’ajoute à la question de fond. Avec la bétonisation des terres agricoles, c’est l’équivalent d’un département français qui disparaît tous les sept ans. Dans un contexte où la FAO [l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr] dit qu’on va entrer dans une ère de pénurie alimentaire, ça me paraît aberrant.»

Vêtus de combinaisons blanches, d’autres militants jettent de la peinture rose, bleue et jaune sur les pare-brise des camions et inscrivent des slogans sur leurs flancs. «On remet un peu de couleur dans ce monde gris et on transforme les bétonneuses en panneaux de sensibilisation», affirme Oko, qui s’est aussi repeint les sourcils en jaune avec cette peinture à l’eau. Comme les autres, la jeune fille risque en théorie jusqu’à sept ans de prison pour dégradation en bande organisée. Pas suffisant pour la dissuader de «prendre part à la révolution».Pour sortir des constructions tout béton, les activistes, accompagnés par quelques spécialistes qui ont fait le déplacement, pointent vers d’autres méthodes. «Le béton représente 8% des émissions mondiales de CO2, alors qu’on peut construire avec un ensemble bois-terre-paille des matériaux qui captent le CO2», explique Tothoreau.«Chaque année, on artificialise en France une surface presque six fois plus importante que celle de Paris, avec notamment pour conséquence un risque accru d’inondations, rappelle de son côté Alain Bornarel, un ingénieur à l’initiative d’un «Manifeste pour une frugalité heureuse».

Il faut construire différemment mais aussi arrêter d’étendre les agglomérations à l’infini, en privilégiant les réhabilitations aux constructions nouvelles et en réduisant les surfaces dédiées aux voitures pour végétaliser.» En attendant cet horizon qui paraît encore lointain, les militants écologistes se concentrent sur un objectif plus proche : tenir le blocage jusqu’à la fin de la journée.