8 novembre 2019 : Macron met fin au projet EuropaCity
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un article du Monde, par Grégoire Allix

Le mégacomplexe de loisirs et de commerces faisait l’objet, depuis des années, d’une vive contestation

Fin de partie pour EuropaCity. Le gouvernement devait annoncer, jeudi 7 novembre dans l’après-midi, à l’occasion du troisième Conseil de défense écologique, l’abandon pur et simple du projet de mégacomplexe de loisirs et de commerces censé ouvrir en 2027 à Gonesse, dans le Val-d’Oise, à 15 kilomètres au nord de Paris. Vivement contesté depuis des années par un front de plus en plus large d’opposants, ce projet était devenu malgré lui un symbole de l’artificialisation des terres agricoles au profit de grands projets inutiles.
Comme l’arrêt du projet minier Montagne d’or en Guyane au printemps, cette décision spectaculaire se veut le reflet de la priorité à l’environnement revendiquée par le chef de l’Etat, Emmanuel Macron. « Nous avons eu du mal à arrimer la promesse écologique de l’acte II du quinquennat par des décisions concrètes; cette fois, nous avons une masse critique qui nous permet d’afficher la couleur verte », reconnaît-on à l’Elysée.

Porté par la filiale d’immobilier commercial du groupe Auchan, Ceetrus, et le conglomérat chinois Wanda, EuropaCity promettait d’attirer 30 millions de visiteurs par an dans ses allées paysagées, en mixant un colossal cocktail de parcs de loisirs, d’é quipements culturels, d’hôtels et de commerces, au prix d’un investissement de plus de 3 milliards d’euros et de l’artificialisation de 80 hectares de cultures céréalières.
« C’est un projet d’une autre époque, fondé sur une consommation de masse d’objets et de loisirs, explique-t-on à l’Elysée. Ce n’est vraiment pas vers ce modèle que s’oriente le gouvernement : nous souhaitons éviter autant que possible ce genre d’équipements, qui concentrent l’activité à l’écart des villes, dévitalisent les centres historiques et créent d’importants besoins de transports. » Pour l’exé cutif, « il ne s’agit pas de dire qu’on ne peut plus jamais consommer de terres agricoles, mais il faut que ce soit pour un projet soutenable, d’un intérêt majeur. Or EuropaCity est un projet daté, même s’il a évolué positivement. »

Les promoteurs, qui travaillent sur ce projet depuis dix ans et y ont déjà consacré « plusieurs dizaines de millions d’euros », l’avaient fortement amendé depuis deux ans pour répondre aux critiques. Le design initial du « starchitecte » danois Bjarke Ingels, qui réunissait l’ensemble du programme dans un bloc fermé semblable à une gigantesque soucoupe volante, a ainsi laissé la place à un plan plus ouvert, plus urbain, aux architectures variées.

Surtout, le 4 octobre, la société Alliages & Territoires, créée par Ceetrus et Wanda pour porter le projet, avait annoncé une série de mesures « vertes » : compensation intégrale des terres artificialisées, neutralité carbone, abandon de la piste de ski « indoor », réduction draconienne de la place réservée aux commerces…
« Abandon des banlieues »

Dans un entretien aux Echos, le 24 octobre, le président de Ceetrus, Vianney Mulliez, appelait le gouvernement à « faire preuve de courage politique . « S’il devait renoncer, cela poserait une nouvelle fois la question de la parole de l’Etat, notamment vis-à-vis des grands investisseurs internationaux », prévenait-il. « Ceetrus n’a pas trop à se plaindre : ils ont obtenu la gare du Nord », balaye un familier du dossier, en référence au vaste chantier de rénovation et d’agrandissement de la gare parisienne, remporté par la foncière d’Auchan et mené malgré l’opposition de la Ville de Paris.

La ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, avait été chargée par l’Elysée et Matignon, au mois de septembre, de consulter l’ensemble des acteurs du dossier EuropaCity promoteurs, aménageurs, élus, opposants… pour remettre un avis sur les suites à lui donner. Ces dernières semaines, l’exécutif hésitait entre deux pistes : un arrêt immédiat, privilégié par Mme Borne, ou un sursis de quelques mois, qui aurait permis d’avancer dans la recherche d’alternatives et de laisser passer les municipales de mars 2020 sans courroucer les élus locaux.

Car l’abandon d’EuropaCity promet de provoquer l’ire des collectivités du Val-d’Oise. Dans cette partie déshéritée du département, qui se vit comme le parent pauvre du Grand Paris, le complexe et sa promesse de 10 000 emplois directs étaient attendus comme des sauveurs. « L’arrêt du projet signifierait un abandon des banlieues, alors que la fracture territoriale s’élargit », estimait le maire (PS) de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, le 4 octobre, au cours d’une conférence de presse des élus locaux pour défendre le projet.
Rappelant que c’est l’Etat qui avait aiguillé EuropaCity vers ce territoire à la suite des émeutes de la ville voisine de Villiers-le-Bel en 2007, la présidente (LR) du département, Marie-Christine Cavecchi, avait averti que, sans perspective de développement économique, « ces populations seraient à nouveau face à un mur, sans espoir . Appelant chacun « à ses responsabilités », l’élue prévenait que « s’il arrivait malheur à EuropaCity, « gilets jaunes » et « bonnets rouges » auront été de la gnognotte au regard de la révolte des Val-d’Oisiens .
Pour les rassurer, le gouvernement a décidé de confier une mission sur le développement économique de ce territoire à Francis Rol-Tanguy, un haut fonctionnaire familier des questions d’aménagement. « Il va travailler en concertation avec les élus pour définir des alternatives qui correspondent plus aux orientations du gouvernement, vers un projet plus mixte, mêlant bureaux, industries, voire agroalimentaire », indique l’Elysée.
« Mensonge d’Etat »

A ce stade, pas question, donc, de renoncer à aménager ces terres agricoles du Triangle de Gonesse situées entre les aéroports de Roissy et du Bourget, dont l’urbanisation est programmée depuis près de trente ans par l’Etat et la région Ile-de-France. Une zone d’aménagement concerté (ZAC) de près de 300 hectares a été créée, dont EuropaCity était jusqu’à présent la locomotive. « Urbaniser le Triangle sans EuropaCity, c’est un mensonge d’Etat que je dénonce par avance », insistait le sénateur (LR) du Val-d’Oise, Arnaud Bazin, le 4 octobre.
L’ensemble de la ZAC replonge en tout cas dans une grande incertitude, alors même que doivent débuter cet automne, en pleins champs, les travaux d’une gare de la future ligne 17 du Grand Paris Express censée desservir ce pôle d’activité à venir. « L’objectif n’est pas de remettre en cause la ligne 17 », assure l’Elysée, même si les visiteurs d’EuropaCity pesaient pour près de moitié dans l’équilibre déjà fragile de cette liaison souterraine. Par ce choix, le gouvernement prend le risque de fâcher à la fois les partisans d’EuropaCity et les adversaires écologistes du projet, qui rejettent en réalité toute urbanisation du Triangle de Gonesse et défendent un ambitieux programme alternatif de cultures maraîchères périurbaines.

Ces opposants étendent désormais leur combat au chantier de la future gare. Avec une première victoire : saisi par plusieurs associations écologistes, le rapporteur public du tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a demandé, mercredi 6 novembre, la suspension pour dix mois de l’autorisation environnementale de la ligne 17. Derrière l’abandon du projet EuropaCity se dissimule le risque d’un effet domino.