Parlement européen : loi Climat, par Marie Toussaint, députée européenne EELV
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Loi climat : Nous avons gagné les -60% de baisse de GES à 2030 … mais il reste du travail

Cette semaine, en plénière, nous votions sur le texte définitif qui constituera la position du Parlement Européen. 

Nous aurions aimé que les amendements demandant une baisse d’au moins 70% des émissions de GES (voire de 65%) soient adoptés (ces objectifs sont ceux déterminés par les scientifiques comme nous permettant de tenir les objectifs de l’Accord de Paris), mais c’est l’objectif de -60% des émissions de GES à 2030 qui sera la position du Parlement Européen : c’est un immense progrès, et nous avons gagné cet objectif (au lieu de l’option des 55%) à seulement 26 voix ! Certes, il reste insuffisant, mais il était quasi inespéré de la part d’un Parlement qui a su nous prouver son conservatisme. 

Parmi les points positifs, comme indiqué précédemment, il y a la création d’un Haut Conseil pour le Climat Européen, l’amélioration de l’accès à la justice pour faciliter le contrôle citoyen. De plus, nous avons fait adopter notre amendement demandant la fin de la protection des investissements fossiles dans le Traité de la Charte de l’Énergie ! Une autre victoire arrachée en dernière minute, et éminemment important. Enfin, le Parlement a signalé la veille du vote sur la loi climat qu’il était contre le MERCOSUR en l’état, et c’est aussi un grand progrès !

Parmi les énormes points de vigilance, il y a le nucléaire : certains partis de droite ont tenté sans succès de l’introduire comme une solution pour l’atteinte des objectifs … mais cela doit constituer pour nous une alerte quant à la place du lobby nucléaire dans les discussions sur la mise en œuvre de la loi, au sein de chaque Etat membre. 

Enfin, il y a l’épineuse question d’un objectif net ou absolu. Avec un objectif de réduction net, les États membres seront libres de choisir leur ratio entre réductions d’émissions réelles et absorptions des émissions – or, les émissions négatives se « fabriquent » (en plantant des arbres, en finançant des projets, etc.) : un objectif net désincite donc aux réductions d’émissions à la source. Plus problématique encore, cela revient à inscrire dans la loi l’équivalence entre une émission fossile et une émission séquestrée (dite « négative »). En outre, puisque la fixation d’un objectif net permet d’avoir recours aux émissions négatives à volonté, les marchés et les mécanismes de compensation carbone vont massivement se développer.  Nous devrons donc être vigilant, par la suite, à fixer un objectif de réduction d’émission absolu pour l’UE, et un objectif séparé d’absorption par les puits de carbone. Si le sujet vous intéresse, le CCFD a des publications sur le sujet, et nous aide dans ce travail de plaidoyer.

A noter qu’une fois la position du Parlement adoptée, la suite des négociations se feront en “trilogue”, entre le Parlement, la Commission et le Conseil (les États membres). Le Conseil commencera d’ailleurs à échanger sur la loi climat la semaine prochaine mais ne devrait prendre réellement position qu’en décembre… Il y a toujours plus urgent que la protection de notre planète :-(.

Vous pouvez retrouver ma tribune sur le sujet ici ; et mon intervention lors du débat en plénière ici.

Énergies fossiles : le poids des lobbys !

Petit jeu pour rire jaune ici au Parlement : conserver tous les emails reçus de la part des lobbyistes des fossiles ! Nous avons transmis ces messages aux ONG, qui s’en sont notamment servies pour un rapport affligeant sur le poids des lobbys fossiles pour capter l’argent des plans de relance (et les politiques de l’UE en général). Une lecture indispensable; à retrouver ici, sur le site de l’observatoire des multinationales, dans le cadre de la campagne #FreeFossilPolitics.

Autre déception, mais qui ne nous rend que plus combatif.ve.s : l’attribution de fonds publics à des projets fossiles ! Alors que nous votions le 6 octobre sur la loi climat, la commission a confirmé des fonds pour des projets d’intérêts communautaires (PCI), dont une grande partie sont des projets fossiles, 4 jours avant ! Ainsi, à ce jour, 998 millions d’euros vont être attribués à des projets prioritaires d’infrastructures énergétiques, dont une partie sont fossiles ! Par exemple, 28 millions d’euros vont aller financer un projet d’interconnexion gazière en Bulgarie (dont nous discutions aussi cette semaine sur  l’état de droit, ce dont vous trouverez des nouvelles sur le site des eurodéputé.e.s écolos ici), et 102 millions vont permettre de financer des projets de capture et stockage du CO2 (CCS) à Rotterdam, Anvers et Mer du Nord.

J’y travaille notamment au travers du dossier sur le mécanisme d’interconnexion énergétique – la ligne budgétaire qui permet ces financements climaticides – que nous essayons de sortir des fossiles et flécher à 100% vers les renouvelables. Par ailleurs, via ce même dossier, je travaille à la révision du règlement sur les infrastructures, je vous raconterai cela en novembre. 

Forêt : l’Europe confond exploitation et protection

Douche froide cette semaine, nous voulions rejeter le texte de la commission Agriculture sur les forêts en Europe et faire voter une proposition alternative, mais le texte proposé a bel et bien été adopté malgré l’énorme travail abattu par Anna Deparnay et avec mes autres collègues écologistes. 80% des forêts de l’UE sont dans un état « mauvais » ou défavorables » et la proposition de texte du parlement était très insuffisante: elle considère les forêts comme une ressource économique et énergétique quand nous devrions assurer leur protection et reconnaître leurs droits écosystémiques. Elle ne permet pas de lutter efficacement contre la déforestation massive, légale et illégale, qui extermine en Roumanie les dernières vieilles forêts d’Europe, et en Guyane, déboise des hectares au profit des multinationales et des grands groupes miniers ou encore permet la construction de la centrale au fioul de Larivot… Enfin, cette stratégie adoptée ne protège pas les défenseurEs de l’environnement qui risquent leurs vies pour protéger les forêts. En 6 ans, six gardes forestiers ont été assassinés en Roumanie et 170 agressés. Vous pouvez retrouver mon intervention ici.

Je vous avais parlé de nos avancées sur le projet de réglementation sur la déforestation importée : j’y reviendrai bientôt puisque notre texte sera débattu et voté en plénière à partir du 19 octobre. 

Vers une reconnaissance européenne des droits de la nature

La semaine prochaine, je lancerai avec le soutien du groupe des Verts/ALE le coup d’envoi d’une grande initiative « Vers une reconnaissance européenne des droits de la nature ».

Avec de nombreux.ses militant.e.s à travers le monde, nous portons ce combat pour les droits de la nature depuis de nombreuses années. Il est désormais temps que l’Europe se saisisse de ce mouvement, et prenne le tournant révolutionnaire auquel il nous invite pour enfin réellement protéger les écosystèmes qui nous entourent, et dont nous dépendons.

Mardi 13 octobre, à 18h30, j’aurai le plaisir de lancer ce projet lors d’une conférence d’ouverture en présence du philosophe Achille Mbembe, de l’experte des droits de la nature Valérie Cabanes, de la chercheuse Nathalie Hervé-Fournereau et de l’historienne Ewa Kulis. Vous trouverez tous les détails de cet événement ici.

Cette conférence ne sera que la première étape de cette initiative, dans l’objectif est d’ouvrir ce débat crucial et de rassembler et mobiliser tou.te.s les défenseur.e.s de l’environnement en Europe autour de cet horizon commun. Et pour aboutir à des propositions concrètes pour l’UE, nous mènerons en parallèle avec des chercheur.e.s européen.ne.s une étude sur l’intégration des droits de la nature dans le droit européen. Des initiatives locales, notamment de parlements des écosystèmes… se multiplient, et nous structurons aussi ce beau réseau qui émerge !

Sur les droits de la nature, mais aussi l’écoféminisme, je me permets de vous renvoyer à la très belle table-ronde organisée par le forum Elle Green (tout arrive !) avec Valérie Cabanes et la philosophe membre de la Fondation pour l’écologie politique Corine Pelluchon : https://t.co/uNwAKIZFv7?amp=1 (dimanche après-midi, à partir de 1h06 mais les engraineuses interviennent sur la première table ronde et vous pourriez avoir envie d’y jeter un œil aussi !).

L’UE sur la voie d’un devoir général de vigilance et d’une gouvernance plus durable des entreprises

Depuis quelques semaines, nous travaillons au Parlement sur l’imposition aux entreprises d’un devoir de vigilance européen, qui doit permettre de demander des comptes aux multinationales dont les activités, directement ou indirectement, reposent sur des violations des droits humains ou de l’environnement. Nous menons aussi un travail parallèle sur la gouvernance durable des entreprises (le rapporteur étant Renew mais bien connu puisqu’il s’agit de Pascal Durand) : le but est de contraindre les opérateurs économiques à davantage de transparence, mais aussi d’assurer une meilleure représentation des intérêts des salarié.e.s, la parité femmes-hommes au niveau des salaires et des postes d’influence (nous démultiplions d’ailleurs nos efforts pour « débloquer au Conseil » la directive devant être adoptée pour imposer la présence d’au moins 40% de femmes dans les CAs des entreprises… pas gagné), ou encore une limitation des écarts de salaires et des dividendes « de court terme » versés aux actionnaires. Mais aussi d’y ajouter des obligations environnementales, ce à quoi j’œuvre aussi en commission environnement sur la base du rapport, particulièrement vide, proposé par Pascal Canfin. La phase cruciale des travaux parlementaires commence dès maintenant et, avec elle, l’apparition des rapports de force politiques.

A bientôt pour la suite, et bien amicalement, Marie Toussaint
Eurodéputée écologisteAdministratrice de la Fondation pour l’écologie politique et de la Fondation verte européenneSur twitterSur instagram — Sur facebook — 0642008868

Retrouvez les ouvrages :Nous demandons justice, avec Priscillia Ludosky, Editions Massot, à paraître 28 mai 2020Manifeste pour une justice climatique, Comment nous allons sauver le monde, avec Notre affaire à tous, Editions Massot, 2019
Les procès climatiques, collectif porté par Christel Cournil et Léandro Varison, Editions Pédone, 2018